vivre, mais seulement pour vivre comme des hommes qui doivent former entre eux une société raisonnable.
Il faut bien remarquer ici que la liaison des idées qui nous représentent des choses spirituelles distinguées de nous, avec les traces de notre cerveau, n’est point naturelle et ne le peut être ; et, par conséquent, qu’elle est ou qu’elle peut être différente dans tous les hommes, puisqu’elle n’a point d’autre cause que leur volonté et l’identité du temps dont j’ai parlé auparavant. Au contraire, la liaison des idées de toutes les choses matérielles avec certaines traces particulières est naturelle ; et par conséquent, il y a certaines traces qui réveillent la même idée dans tous les hommes. On ne peut douter, par exemple, que tous les hommes n’aient l’idée d’un carré à la vue d’un carré, parce que cette liaison est naturelle ; mais on peut douter qu’ils aient tous l’idée d’un carré lorsqu’ils entendent prononcer ce mot carré, parce que cette liaison est entièrement volontaire. Il faut penser la même chose de toutes les traces qui sont liées avec les idées des choses spirituelles.
Mais, parce que les traces qui ont une liaison naturelle avec les idées touchent et appliquent l’esprit, et le rendent par conséquent attentif, la plupart des hommes ont assez de facilité pour comprendre et retenir les vérités sensibles et palpables, c’est-à-dire les rapports qui sont entre les corps ; et, au contraire, parce que les traces qui n’ont point d’autre liaison avec les idées que celle que la volonté y a mises ne frappent point vivement l’esprit, tous les hommes ont assez de peine à comprendre et encore plus à retenir les vérités abstraites, c’est-à-dire les rapports qui sont entre les choses qui ne tombent point sous l’imagination. Mais lorsque ces rapports sont un peu composés, ils paraissent absolument incompréhensibles, principalement à ceux qui n’y sont point accoutumés, parce qu’ils n’ont point fortifié la liaison de ces idées abstraites avec leurs traces par une méditation continuelle ; et quoique les autres les aient parfaitement comprises, ils les oublient en peu de temps, parce que cette liaison n’est presque jamais aussi forte que les naturelles.
ll est si vrai que toute la difficulté que l’on a à comprendre et à retenir les choses spirituelles et abstraites vient de la difficulté que l’on a à fortifier la liaison de leurs idées avec les traces du cerveau, que lorsqu’on trouve moyen d’expliquer par les rapports des choses matérielles ceux qui se trouvent entre les choses spirituelles, on les fait aisément comprendre, et on les imprime de telle sorte dans l’esprit, que non-seulement on en est fortement persuadé, mais encore qu’on les retient avec beaucoup de facilité. L’idée gé-