pas qu’elle considère ces traces, puisqu’elle n’en a aucune connaissance ; ni que ces traces renferment ces idées, puisqu’elles n’y ont aucun rapport ; ni enfin qu’elle reçoive ses idées de ces traces, car, comme nous expliquerons ailleurs, il n’est pas concevable que l’esprit reçoive quelque chose du corps, et qu’il devienne plus éclairé qu’il n’est en se tournant vers lui, ainsi que les philosophes le prétendent, qui veulent que ce soit par conversion aux fantômes ou aux traces du cerveau, per conversionem ad phantasmata, que l’esprit aperçoive toutes choses.
De même, dès que l’âme veut que le bras soit mu, le bras est mu, quoiqu’elle ne sache pas seulement ce qu’il faut faire pour le remuer ; et dès que les esprits animaux sont agités l’âme se trouve émue, quoiqu’elle ne sache pas seulement s’il y a dans son corps des esprits animaux.
Lorsque je traiterai des passions, je parlerai de la liaison qu’il y a entre les traces du cerveau et les mouvements des esprits, et de celle qui est entre les idées et les émotions de l’âme, car toutes les passions en dépendent. Je dois seulement parler ici de la liaison des idées avec les traces, et de la liaison des traces les unes avec les autres.
Il y a trois causes fort considérables de la liaison des idées avec les traces. La première et la plus générale, c’est l’identíté du temps. Car il suffit souvent que nous ayons eu certaines pensées dans le temps qu’il y avait dans notre cerveau quelques nouvelles traces, afin que ces traces ne puissent plus se produire sans que nous ayons de nouveau ces mêmes pensées. Si l’idée de Dieu s’est présentée à mon esprit dans le même temps que mon cerveau a été frappé de la vue de ces trois caractères Iah ou du son de ce même mot, il suffira que les traces que ces caractères ou leur son auront produites se réveillent, afin que je pense à Dieu, et je ne pourrai penser à Dieu qu’il ne se produise dans mon cerveau quelques traces confuses des caractères ou des sons qui auront accompagné les pensées que j’aurai eues de Dieu ; car, le cerveau n’étant jamais sans traces, il a toujours celles qui ont quelque rapport à ce que nous pensons, quoique souvent ces traces soient fort imparfaites et fort confuses.
La seconde cause de la liaison des idées avec les traces, et qui suppose toujours la première, c’est la volonté des hommes. Cette volonté est nécessaire, afin que cette liaison des idées avec les traces soit réglée et accommodée à l’usage. Car si les hommes n’avaient pas naturellement de l’inclination à convenir entre eux pour attacher leurs idées à des signes sensibles ; non seulement