ment trop les illusions de leurs sens ; il y a trop long-temps qu’ils obéissent à leurs préjugés, et leur âme s’est trop oubliée pour reconnaître que c’est à elle-même qu’appartiennent toutes les perfections qu’elle s’imagine voir dans les corps.
Ce n’est pas aussi à ces sortes de gens que l’on parle ; on se met peu en peine de leur approbation et de leur estime : ils ne veulent pas écouter, ils ne peuvent donc pas juger. Il suffit qu’on défende la vérité et qu’on ait l’approbation de ceux qui travaillent sérieusement à se délivrer des erreurs de leurs sens et à user bien des lumières de leur esprit. On leur demande seulement qu’ils méditent ces pensées avec le plus d’attention qu’ils pourront, et qu’ils jugent, qu’ils les condamnent ou qu’ils les approuvent. On les soumet à leur jugement, parce que par leur méditation ils ont acquis sur elles droit de vie et de mort, qui ne peut leur être contesté sans injustice.
Nous avons, ce me semble, assez découvert les erreurs générales où nos sens nous portent, soit à l’égard de leurs propres objets, soit à l’égard des choses qui ne peuvent être aperçues que par l’entendement ; et je ne crois pas qui en suivant leur rapport nous tombions dans aucune erreur dont on ne puisse reconnaître la cause par les choses que nous venons de dire, pourvu qu’on les veuille un peu méditer.
I. Nous avons encore vu que nos sens sont très-fidèles et très-cxacts pour nous instruire des rapports que tous les corps qui nous environnent ont avec le nôtre, mais qu’ils sont incapables de nous apprendre ce que ces corps sont en eux-mêmes ; que, pour en faire un bon usage, il ne faut s’en servir que pour conserver sa santé et sa vie, et qu’on ne les peut assez mépríser quand ils veulent s’élever jusqu’à se soumettre l’esprit. C’est la principale chose que je souhaite que l’on retienne bien de tout ce premier livre. Que l’on conçoive bien que nos’sens ne nous sont donnés que pour la conservation de notre corps ; qu’on se fortifie dans cette pensée, et que pour se délivrer de l’ignorance ou l’on est on cherche d’autres secours que ceux qu’ils nous fournissent.
II. Que s’il se trouve quelques personnes, comme sans doute il n’y en aura que trop, qui ne soient point persuadées de ces dernières propositions par les choses qu’on a dites jusqu’ici, on leur