Ce rapport qu’elle a à son corps pourrait n’être pas : mais le rapport qu’elle a à Dieu est si essentiel qu’il est impossible de concevoir que Dieu puisse créer un esprit sans ce rapport.
Il est évident que Dieu ne peut agir que pour lui-même, qu’il ne peut créer les esprits que pour le connaître et pour l’aimer, qu’il ne peut leur donner aucune connaissance, ni leur imprimer aucun amour qui ne soit pour lui et qui ne tende vers lui ; mais il a pu ne pas unir à des corps les esprits qui y sont maintenant unis. Ainsi le rapport que les esprits ont à Dieu est naturel, nécessaire, et absolument indispensable ; mais le rapport de notre esprit à notre corps, quoique naturel à notre esprit, n’est point absolument nécessaire ni indispensable.
Ce n’est pas ici le lieu d’apporter toutes les autorités et toutes les raisons qui peuvent porter à croire qu’il est plus de la nature de notre esprit d’être uni à Dieu que d’être uni à un corps ; ces choses nous mèneraient trop loin. Pour mettre cette vérité dans son jour, il serait nécessaire de ruiner les principaux fondements de la philosophie païenne, d’expliquer les désordres du péché, de combattre ce qu’on appelle faussement expérience, et de raisonner contre les préjugés et les illusions des sens. Ainsi il est trop difficile de faire parfaitement comprendre cette vérité au commun des hommes pour l’entreprendre dans une préface.
Cependant, il n’est pas malaisé de la prouver à des esprits attentifs, et qui sont instruits de la véritable philosophie. Car il suffit de les faire souvenir que, la volonté de Dieu réglant la nature de chaque chose, il est plus de la nature de l’âme d’être unie à Dieu par la connaissance de la vérité et par l’amour du bien, que d’être unie à un corps ; puisqu’il est certain, comme on vient de le dire, que Dieu a fait les esprits pour le connaître et pour l’aimer plutôt que pour informer des corps. Cette preuve est capable d’ébranler d’abord les esprits un peu éclairés, de les rendre attentifs, et ensuite de les convaincre ; mais il est moralement impossible que des esprits de chair et de sang, qui ne peuvent connaître que ce qui se fait sentir, puissent être jamais convaincus par de semblables raisonnements. Il faut, pour ces sortes de personnes, des preuves grossières et sensibles, parce que rien ne leur parait solide s’il ne fait quelque impression sur leurs sens.
Le péché du premier homme a tellement affaibli l’union de notre esprit avec Dieu, qu’elle ne se fait sentir qu’à ceux dont le cœur est purifié et l’esprit éclairé ; car cette union parait imaginaire à tous ceux qui suivent aveuglément les jugements des sens et les mouvement des passions[1].
Au contraire, il a tellement fortifié l’union de notre âme avec notre corps qu’il nous semble que ces deux parties de nous-mêmes
- ↑ Mens, quod non sentit, nisi cum purissima et beatissima est, nulli cohæret, nisi ipsi veritati, quæ similitudo et imago Patris, et sapienta dicitur. Aug., lib. p. de Gen. ad litt.