silence, où la presse est bâillonnée, l’opposition est forcée de se faire mystérieuse, terrible. La conspiration, qui est un anachronisme en France, est d’actualité dans un pays qui n’a pas encore traversé les mêmes phases. Et quiconque serait tenté de flétrir le mode de guerre des nihilistes n’aurait qu’à méditer ce fait : dans l’espace de neuf mois, le général Séliverstoff[1], chef de la police, fit déporter, administrativement et au hasard, plus de vingt mille personnes.
L’attentat de Véra Zassoulitch, fille d’un haut fonctionnaire, sur la personne du général Trépoff, est demeuré célèbre. Cette jeune nihiliste, âgée de vingt-cinq ans, apprit un jour que le général, chef de cette troisième section tant exécrée où se concentrent tous les pouvoirs de la police, avait, sous un prétexte futile, fait bâtonner un détenu politique. L’indignation fut grande dans les cercles libéraux et Vera résolut de venger la victime, qu’elle ne connaissait pas : le 26 juin 1877, elle se rend dans les bureaux de la troisième section, demande à voir le général pour lui remettre une pétition, est introduite et tire à bout portant un coup de revolver qui, pendant plusieurs mois, tint Trépoff entre la vie et la mort. L’année suivante, l’héroïne comparaissait devant le jury, appelé pour la première et la dernière fois à statuer sur un crime politique : son procès fut un triomphe, elle fut acquittée à l’unanimité. À la sortie, la police voulut l’enlever : un ordre du gouvernement en-
- ↑ Qui vient de tomber récemment à Paris sous la balle de Padlewsky.