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La bourgeoisie naissante fut seule à se désintéresser des croisades. Tandis que les gens de métier travaillaient patiemment à consolider leurs corporations et à augmenter leurs privilèges, ceux dont la vie quotidienne était des plus précaires : serfs fugitifs, colons ruinés, mendiants, voleurs, femmes publiques, gagnés par l’enthousiasme et aussi par le mirage d’une existence plus heureuse, partirent pour cette Jérusalem qu’ils ne connaissaient pas, entraînant sur leur passage de nouvelles recrues.

Au demeurant, les premières croisades, comme jadis les invasions slavo-germaines et scythiques, étaient l’exode d’un prolétariat. Avec ses famines, ses épidémies, ses guerres continuelles et ses cruautés atroces, le moyen âge fut une époque de désolation. Plus cette vie terrestre devenait dure, plus les prêtres faisaient miroiter les délices paradisiaques. Pour la plèbe naïve, cette Sion, aïeule du christianisme et patrie des élus, glorifiée dans les cantiques, devint la cité idéale où les assoiffés de bien-être et de justice pourraient satisfaire leurs aspirations. Où était-elle située au juste ? Dans le ciel, disaient les prêcheurs de résignation ; mais c’était trop lointain : les plus énergiques, les plus impatients, entreprirent de réaliser ce paradis sur la terre. Hussites et anabaptistes eurent, les premiers à Prague, les seconds à Munster, leur nouvelle Sion, dont ils organisèrent le gouvernement sur le modèle de l’ancienne : tant le pastichage est de toutes les époques !

Au déclin du xiie siècle, les types abrupts du moyen âge commencent à s’effacer ; d’autres apparaissent : le hardi chevalier, portant haut son pa-