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en trouvant quelquefois parce qu’elle était jolie et bientôt obligée de partir quand elle s’apercevait que le maître entendait bien la traiter entièrement comme sa chose. Et finalement, lasse de misère, de jours sans pain, de nuits à la belle étoile, arrivée d’étape en étape sur les bords du Moulince, ne sachant plus où aller, que faire, elle avait voulu en finir, une fois pour toutes : elle n’avait pas encore seize ans.

Galfe écoutait sans l’interrompre ce récit lamentable qui lui poignait le cœur. À mesure que la jeune fille parlait, il voyait, comme s’il s’y fût trouvé mêlé lui-même, se dérouler les phases de cette vie, il se sentait courbé dans l’agenouillement stupide du couvent, épuisé de travaux rudes par les servantes du Christ, puis encagé comme un oiseau chez Mme  Hachenin, enfin se traînant à demi mort de fatigue et de faim, au long des routes. Quand elle eut fini de parler, il murmura d’une voix étranglée :

— Oui, elle est jolie, la société ! Et on ne se révolte pas !

Et comme elle le considérait d’un regard un peu étonné, il ajouta :

— De sorte que, maintenant, vous ne savez pas où aller ?

— Non, répondit Céleste.

Elle avait éprouvé une sorte de soulagement amer en vidant le trop plein de son cœur. Depuis bien des années, c’était la première fois qu’elle eût rencontré un être auquel elle pût conter toutes ses souffrances de jeune paria.

— Eh bien, dit Galfe, vous resterez ici jusqu’à ce que vous ayez trouvé quelque chose.

La jeune fille eut un élan de reconnaissance.

— Ah ! vous me sauvez ! s’écria-t-elle en se soulevant sur le lit et embrassant les mains du mineur d’un mouvement spontané.

Au contact tiède de ses lèvres, Galfe avait pâli, puis senti subitement un flot de sang lui monter au