Page:Malato - La Grande Grève.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la mutuelle. À quoi bon ? Entendre des discours ! entendre des camarades qui passaient pour intelligents prêcher la sagesse, la résignation, et préconiser des palliatifs dérisoires qui, dans mille ans, laisseraient encore debout le salariat, cette forme moderne de l’esclavage ! Non, tous ces discours l’exaspéraient : il n’irait pas ce soir-là, se contentant de verser exactement sa cotisation.

Songeant ainsi, il s’approchait du Moulince pour y tremper sa tête brûlante, lorsqu’un cri étouffé le cloua sur place.

Sa stupeur ne dura qu’une seconde. Tout de suite, il se ressaisit et courut vers le ruisseau. De là était parti l’appel.

Son regard explora la berge et ne rencontra rien, puis se porta sur le ruisseau, large de quatre mètres et profond de deux. L’espacement des grands arbres laissait pénétrer en cet endroit de la forêt plus de clarté qu’ailleurs ; le reflet d’un mince croissant de lune argentait le cours du Moulince : dans un remous, Galfe aperçut une masse sombre qui disparut l’instant d’après.

Il se précipita dans le ruisseau, plongea et sentit quelque chose qui, emporté par le courant, lui glissait entre les doigts. Il revint à la surface pour respirer, replongea d’une vigoureuse poussée et tout aussitôt sa main se referma sur une étoffe, il tira : l’étoffe était alourdie par un poids. Quelques secondes plus tard, Galfe déposait sur la berge un corps inanimé.

C’était une jeune fille qui paraissait à peine seize ans, brune et très belle dans la rigidité de ses membres et la pâleur de son visage. Ses yeux, ombragés de longs cils noirs, étaient à demi fermés, laissant entrevoir la pupille dilatée ; pas une fibre de son être ne tressaillait ; Galfe, très angoissé, posa la main sur sa poitrine, et ne sentit pas le cœur battre.