Page:Malato - La Grande Grève.djvu/510

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un poète et un penseur, ce cœur de jeune femme tout amour et tendresse, le plomb les avait transpercés et ouverts, saignants, comme des fruits mûrs.

Du moins, comme l’avait prophétisé Galfe, la mort même n’avait pu les séparer. Peut-être était-ce pour eux une faveur du Destin de partir ainsi, tous deux, ensemble, jeunes encore et s’étant aimés jusqu’au dernier moment.

À leurs pieds gisait, échappé à la main de Céleste, le drapeau noir, symbole d’une immanente protestation contre la société marâtre, contre cette société qui, à ces deux êtres généreux, pleins de jeunesse virile, d’enthousiasme et de bonté, n’avait donné en partage que la prison, le bagne, la misère et la mort !


XX

VISIONS D’AVENIR


La fusillade de Chôlon, qui fit quinze victimes — trois morts et douze blessés — retentit comme un coup de tonnerre dans toute la France.

Ce fut la fin de la grève. Devant la clameur d’exécration s’élevant contre lui de toutes parts, le préfet Jolliveau, quel que fût son cynisme brutal, sentit son assurance l’abandonner : il eut peur. Peur non du crime perpétré, mais d’une révocation ; les ouvriers et les bourgeois républicains l’avaient en horreur, les conservateurs eux-mêmes l’abandonnaient et osaient à peine le saluer dans la rue. Seul des Gourdes lui demeurait ; quant à Schickler, il avait déclaré nettement à l’évêque de Tondou : « Cet homme est compromettant. »

Ce que ne lui pardonnaient pas ceux qui avaient été jusqu’alors ses protecteurs, c’était de n’avoir point réussi. Un massacre, même dix fois plus considérable, ne leur eût nullement déplu s’il eût eu pour effet de briser la résistance ouvrière. Mais jus-