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un accord direct de la Compagnie et du syndicat, faisait miroiter cette chose magique : une retraite proportionnelle ! Fallait-il, pour le seul désir d’humilier la Compagnie, refuser pareille offre ? Jamais les grévistes ne le pardonneraient à leurs délégués.

C’était une victoire pour les ouvriers : une victoire morale surtout.

La joie des grévistes fut profonde, débordante, quand ils apprirent la conclusion de l’accord. Ils ne pouvaient connaître les arrière-pensées de des Gourdes ; ce que, par contre, ils voyaient clairement, c’était leur relèvement moral, leur avènement du rang d’animaux domestiques au rang d’hommes conscients d’un droit et fortifiés par la solidarité. Pour la première fois dans Mersey, une masse ouvrière ayant réellement un noyau d’organisation, s’était dressée en face du patronat et avait triomphé.

Cette allégresse de la population ouvrière, Ouvard et Bernard la ressentaient à des degrés moindres et différents. Le premier était trop intelligent pour croire à un accord définitif et ne point entrevoir dans l’avenir, peut-être sous peu, un essai de revanche, des pièges et un retour offensif de la Compagnie. Cependant, il convenait, pensait-il, de prendre en attendant tout ce qu’on pouvait. Le second se montrait moins optimiste encore et regrettait qu’on n’eût pas exigé des engagements plus formels, notamment la suppression irrévocable de la police de la Compagnie. Il ne niait pas, toutefois, que ce fût un succès moral et de bon augure pour l’avenir ; mais quelle somme d’efforts ne fallait-il pas déployer pour atteindre un but toujours bien moindre que celui entrevu ! Décidément, un penseur avait eu raison d’écrire : « Il faut viser au delà même du but pour arriver seulement à s’en approcher. » Toute l’histoire contemporaine confirmait la justesse de cette pensée : c’étaient les républicains qui avaient, par leurs luttes contre le despotisme, assis