nouait contre lui. Mais qu’importait ! S’il rétablissait l’ordre à Mersey, il s’estimerait heureux.
L’ordre ! Ce mot résumait son idéal. Étranger à tout ce qui n’était pas la politique et l’administration, ignorant toutes les sciences que n’enseignent que des professeurs orthodoxes, il ne se demandait pas si cet ordre, basé sur le salariat, l’exploitation, la misère, ne fauchait point dix fois plus de victimes qu’une guerre déclarée.
Par Bobignon, affairé, ému, perplexe, il invita des Gourdes à se rencontrer avec lui à la mairie. Le premier magistrat de Mersey était dans ses petits souliers : entre le directeur de la Compagnie dont il avait toujours été l’obéissant valet, et le préfet duquel dépendait son avancement, sous l’œil des députés venus de Paris, socialistes, révolutionnaires, mais députés tout de même, il se sentait infime et s’efforçait de se faire invisible. De même Pidurier, qui, la rage au cœur, affectait une complète neutralité dans le conflit.
Le même soir, dans le cabinet du maire, le représentant du capital et celui de l’État se trouvaient face à face. Deux puissances étaient en eux, et si celle de l’État était officiellement la plus haute, celle du capital était la plus puissante. Effacé, dans un coin de la pièce et ne bougeant pas plus qu’un meuble, Bobignon était tout yeux et tout oreilles.
— Il importe, monsieur le directeur, d’apaiser un conflit qui va chaque jour s’accentuant, cause la misère, provoque la haine et peut faire naître les événements les plus redoutables.
Ainsi, disait Blanchon, pesant chacune de ses paroles.
— À qui la faute, je vous en prie, monsieur le préfet ? riposta des Gourdes. Est-ce à la Compagnie qui entend fermement maintenir ses droits ou aux ouvriers qui prétendent les restreindre peu à peu pour devenir un jour les maîtres ?