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perdre de l’argent quand il le faut : l’essentiel est que son prestige ne soit pas entamé. Plus tard, elle saura faire payer aux révoltés les frais de la guerre.

À ce moment, Mme Schickler entra dans le cabinet. Dans sa vie calme de riche bourgeoise, elle avait à peine vieilli.

L’entrée de Mme Schickler ne fit pas dévier la conversation. La bonne dame, étrangère à tout mouvement d’idées, ne savait guère parler que religion ou affaires. On continua donc à causer des affaires et des Gourdes fut étonné de voir combien cette vieille femme, ignorante en toutes autres questions, se montrait naturellement avisée au point de vue des intérêts financiers. C’est qu’elle était bien de sa caste ; l’âme bourgeoise vivait en elle, cette âme façonnée depuis des générations au culte de l’argent et à l’exclusion de tous les grands élans d’esprit et de cœur. Elle aussi se plaignit des exigences croissantes des ouvriers. Certes, au Brisot, ils n’osaient pas encore bouger, parler ouvertement grèves, syndicalisme ; les cris séditieux et les placards demeuraient une manifestation anonyme ; qui donc eût osé, en face, braver la puissance de Schickler ? Mais, on sentait sourdre le mécontentement ; même lorsque, l’hiver, on faisait distribuer par les bonnes sœurs des vêtements ou des provisions aux familles nécessiteuses, celles-ci, au lieu de se montrer pénétrées de reconnaissance, ne remerciaient que du bout des lèvres. Ces dons ne leur suffisaient pas : si elles eussent osé, elles auraient demandé encore de l’argent ! De l’argent ! Pourquoi faire ? Pour que l’homme allât le boire au cabaret ?

— Ou pour acheter des journaux, ce qui est encore pire, dit des Gourdes.

— Oh ! ici on ne lit pas beaucoup, fit Schickler rentrant dans la conversation. J’ai l’œil sur les marchands de journaux ; aussi les ouvriers votent bien.