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Schickler secoua la tête, incrédule.

— Mais si ! continua le baron. Ces gens-là sont à nous autres ce que furent les ours et les tigres aux hommes primitifs. Et encore ils ont cette infériorité sur les fauves : ils ne savent que hurler ; ils ne savent pas mordre.

Tout le mépris de l’aristocrate pour le peuple éclatait dans ces paroles. Non, ce troupeau de prolétaires grondants n’était redoutable que par intermittence, à cause de son nombre, mais le nombre peut-il avoir définitivement raison de l’intelligence et du savoir ? N’a-t-on pas toujours vu des poignées d’hommes, des Fernand Cortez, des Stanley, asservir des peuples entiers, grâce à cette supériorité de l’esprit et de la volonté ? Car pouvait-on comparer l’intelligence rudimentaire ou atrophiée de l’ouvrier, incapable de s’élever à des conceptions générales précises, et celle de la haute classe ayant reçu toutes les lumières ? Une seule chose eût peut-être pu faire triompher les ouvriers : le débordement fougueux de toutes les initiatives individuelles. Or, depuis un siècle, la grande industrie avait saisi ces ouvriers pour les discipliner, mater leurs révoltes, châtier leurs farouches énergies, en même temps que pour abêtir leur esprit. Encore quelques générations et il n’y aurait plus rien à craindre pour les possédants ! la séparation serait définitivement accomplie entre eux, branche d’une humanité supérieure, et les prolétaires tombés pour toujours à l’état de simples animaux parlants. La scission qui s’était autrefois accomplie dans les espèces zoologiques entre les familles évoluées et les familles retardataires, entre les hommes et les singes, descendants du même ancêtre, se renouvellerait.

Et des Gourdes en dépit de son zèle catholique, parlait, en homme qui a lu Darwin, évolution, transformisme. Certes, il était demeuré de cœur l’élève des bons pères, attaché par l’intérêt de caste à la