les travailleurs, quitte à s’entendre après avec les fournisseurs.
— Va demander cela à Bobignon !
— Enfin, résumons ! dit Ouvard impatienté. Nous n’avons pas le droit de sacrifier les mineurs et les familles à des considérations théoriques. C’est à eux, en définitive, à déclarer si le programme leur paraît suffisant, trop fort ou pas assez.
— En cela tu as raison, répondit Bernard. Assemble le syndicat et après le syndicat tous les autres.
Détras demeurait songeur. Il se disait que le parlementarisme est un écueil des mouvements populaires et que, sans s’attarder aux formes, c’est aux plus conscients, aux plus énergiques à guider la grande masse, jusqu’au jour où cette masse, à son tour, lancée d’un élan irrésistible, les déborde et les dépasse.
Mais les mineurs de Mersey en étaient-ils arrivés à ce point d’évolution ou d’entraînement ?
Rares encore, il faut bien le dire, étaient ceux qui, comme Bernard et Ouvard, voyaient en fin de compte l’expropriation des capitalistes au profit de la collectivité. La conception d’une société toute nouvelle dans laquelle le salariat serait définitivement aboli leur échappait. Ils sentaient l’oppression du capital et lui envoyaient l’anathème de leurs colères ; mais, en même temps, le monstre leur paraissait indéracinable : ils n’osaient rêver comme possible sa disparition complète. Un singulier mélange de colères anarchistes, de vagues tendances socialistes et de vieilles idées routinières d’esclaves inconscients se faisait en leurs esprits. Par moments, on eût cru des iconoclastes, décidés à faire table rase de tout ce qui existait. L’instant d’après, on les entendait dire : « Bah ! des patrons, il y en aura toujours ! »
Ce qu’ils voulaient avant tout, c’était un peu moins d’écrasant travail et un peu plus de pain ; c’était