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viendrait toute grève sérieuse. Alors, on frapperait non plus seulement vingt-cinq, mais quarante ou cinquante militants en tête desquels, naturellement, Ouvard ; les bagarres, habilement provoquées, pourraient même fournir prétexte à poursuites et emprisonnement. Pendant ce temps, mettant à exécution une idée qu’il caressait depuis un temps, il ferait constituer par Canul et quelques autres mercenaires un autre syndicat, un syndicat « jaune », comme on commençait à appeler les groupements d’ouvriers soumis, renégats de leur classe et instruments dociles de la volonté patronale. Ce serait la mort de l’autre syndicat, du syndicat « rouge » !

La bataille au Fier Lapin fut acharnée ; les syndiqués surpris avaient le désavantage de la défensive et, dans la confusion, se battaient entre eux sans se reconnaître. Les hommes de Michet, au contraire, avaient adopté un signe, apparent pour eux, mais invisible pour des yeux non prévenus : deux épingles croisées à leur boutonnière. De sorte que leurs coups sans s’égarer portaient sur les partisans de la grève.

Déjà une dizaine de ceux-ci gisaient, à demi assommés, les yeux pochés, le visage en sang. Les assaillants étaient presque entièrement maîtres de la salle, tandis que les syndiqués se trouvaient refoulés vers la cour. Mais l’espace maintenant manquait pour se battre : on s’étouffait, on s’écrasait, sans plus pouvoir lever les bras pour frapper. Par contre, les vociférations, les injures ne s’interrompaient pas une seconde : « À bas les traîtres ! Salaud ! Vendu ! Mort aux mouchards ! À l’eau les renégats ! À bas Ouvard ! À bas Michet ! À bas Moschin ! Vive la grève ! »

Marbé, consterné, avait envoyé en toute hâte prévenir le commissaire de police et le brigadier de gendarmerie. Il supputait avec désolation ce que la journée allait lui coûter : une casse sérieuse au lieu du bénéfice entrevu. Les enragés ne songeaient qu’à