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— Oui, dit Panuel, mais je ne verrai pas ça.

Deux ou trois habitants qui venaient de se lever pour vaquer à leurs occupations matinales ouvraient leurs volets. Ils remarquèrent avec surprise ce groupe de trois personnes étrangères qui s’avançaient sans hésitation, comme si la localité leur eût été parfaitement connue.

Détras avait laissé ses bagages à la consigne, et, avec ses compagnons, s’avançait le pas alerte, les mains libres. On eût cherché en vain l’ancien mineur dans cet homme à l’allure dégagée, vêtu d’un complet de drap gris et coiffé d’une casquette de voyage. Geneviève, en manteau brun, portant également la « cape » anglaise, étonna beaucoup ceux qui l’aperçurent. Quel pouvait être ce couple ? Des Anglais évidemment, quelque lord — car tous les Anglais en voyage sont des lords ! — et sa femme, de passage pour Nice ou la Suisse. Mais soudain, une vieille porteuse de lait, la mère Picois, reconnut Panuel et, s’approchant presque sous le nez de ses compagnons, demeura stupéfaite, pétrifiée.

— Jésus, Dieu ! c’est-y possible ? murmura-t-elle d’une voix étranglée. Madame Détras !

— Mais oui, c’est moi, répondit doucement Geneviève. Vous allez toujours bien, la mère Picois ?

Mais Détras surtout intriguait la vieille. Elle ne pouvait supposer que ce fût l’ancien forçat dont on avait annoncé la mort ; elle tournait sur lui des regards dévorants de curieuse et finit par demander timidement à Geneviève :

— Vous vous êtes donc remariée ? Je vous en fais mon compliment ; monsieur est un bel homme.

Détras éclata de rire, un rire qui eut un écho chez ses compagnons.

— Ah ! çà, mère Picois, dit-il, l’âge vous a donc affaibli la vue ! Vous avez vite fait d’enterrer les gens.

— Monsieur Détras ! s’écria-t-elle, si interloquée qu’elle faillit tomber à la renverse.