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s’écoulèrent encore : le sentiment les appelait à Mersey, le raisonnement les retenait à Londres. Qu’eussent-ils fait là-bas ? Ils n’étaient plus d’âge, surtout Panuel, à aller à l’aventure, sans but fixe : Berthe grandissait ; il ne fallait pas risquer le pain du lendemain, assuré à Londres.

Enfin, ils trouvèrent à céder leur commerce dans de bonnes conditions. Munis d’un petit capital, ils pourraient maintenant revenir : ils achèteraient du terrain, avec, si possible, l’ancienne maison des Détras, défricheraient, cultiveraient, élèveraient des bestiaux. Ils fourniraient de légumes, beurre, œufs, lait et volailles, le marché de Mersey, et même, si possible, les épiciers du chef-lieu. Ce serait là le calme réparateur de la vie agricole, succédant à tant de bourrasques. En même temps, grâce aux relations commerciales qu’il avait acquises à Londres, Détras pourrait s’occuper de représentation dans la région.

Et maintenant, ils étaient revenus. Débarqués dès l’aube à la gare de Mersey, ils avaient, traversant la petite ville encore ensommeillée, pris tout de suite la direction de leur ancienne maison, cette maison évocatrice du passé heureux et malheureux qui hantait leurs rêves d’exilés.

Ces toits rouges, ces coteaux verts s’étendant sous le ciel bleu pâle du matin, il leur semblait qu’ils les revoyaient comme au sortir d’un rêve. Oui, c’était bien leur Mersey où ils avaient vécu, travaillé, aimé, souffert, où ils allaient désormais être libres, garantis dans leur indépendance par la possession d’un peu de cet argent qui est le grand talisman.

Ils remarquaient avec quelque surprise de nouveaux bâtiments, des rues en construction. Pendant ces dernières années, Mersey s’était encore agrandi : entre la gare et la côte des Mésanges tout un quartier neuf sortait de terre.

— D’ici vingt ans, ce sera tout à fait une grande ville, murmura Détras.