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force d’ouvrir la bouche. Ce fut la patronne qui, la voyant presque défaillante, lui dit d’un ton ironique :

— Eh bien, quoi ? Est-ce que vous avez peur parce qu’on a laissé rentrer à Mersey un bandit ? Des bandits, on en rencontre partout à notre époque, et les gendarmes les saluent au lieu de les arrêter.

Mais Céleste n’écoutait plus : le nom de Mersey, s’ajoutant à ce qu’avait dit le mari, était venu la plonger dans un anéantissement fait d’espoir éperdu et d’épouvante. Si c’était lui ? Si ce n’était pas lui ?

Un brouillard sur les yeux, elle se retira sans avoir eu la force de prononcer un mot et, chancelante comme une personne ivre, laissa le couple patronal stupéfié.

— Elle est folle, dit la femme.

— C’est la peur, prononça doctoralement le mari. Il y a eu des cas de folie subite causée par l’épouvante.

Le grand air rendit quelque présence d’esprit à Céleste. Avant tout, il fallait connaître le nom du forçat gracié. Elle allait retourner sur ses pas pour le demander aux clients qu’elle venait de quitter, lorsqu’elle aperçut devant elle le bureau de poste, télégraphe et téléphone. Une inspiration l’y précipita : elle connaissait vaguement l’un des commis pour avoir livré à sa femme des garnitures de chapeaux.

— Tiens, bonjour, mademoiselle Rénois, fit l’employé. Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Je voudrais télégraphier… non téléphoner… j’aurai la réponse plus vite.

— C’est facile. Où cela ?

— À Mersey.

— À quelle adresse ?

— Je ne sais pas.

L’employé regarda la jeune femme d’un air stupéfait.

— Je vous demande à quelle adresse, répéta-t-il, croyant qu’elle avait mal entendu.