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— Quelle bonne inspiration vous avez eue de demeurer à Mersey ! disait Brossel à Bernard, auquel il continuait à rendre de fréquentes visites. C’est grâce à vous que les ouvriers commencent à avoir enfin des idées claires dans la tête. Combien il vous a fallu de courage pour continuer votre propagande ayant tout contre vous !

— Tout, non ! répondit Bernard. J’avais pour moi l’instinct naturel des déshérités. Un grain de bon sens vaut souvent mieux que de grandes idées. Par exemple, oui, il m’a fallu quelque ténacité !

Il disait cela en riant, heureux de constater le progrès, parfois lent, mais continu, de ses idées.

Paryn, lui aussi, qui, entraîné par son amour et ses habitudes de la lutte politique, n’avait point entrevu comme proche l’éveil d’un monde ouvrier, se disait maintenant que Bernard avait vu juste. Lui aussi, il sentait sourdre quelque chose comme un faible courant souterrain, destiné à devenir le flux puissant d’une mer.

— Oui, pensait-il, le salariat se ronge : il s’en ira comme s’en est allé l’esclavage, comme s’en est allée l’anthropophagie primitive, comme s’en ira un jour la guerre. Les serfs du capital commencent à comprendre, et s’organiser, aujourd’hui pour la résistance, demain pour l’offensive : ils finiront par exproprier leurs maîtres et devenir de libres producteurs.

Puis, repris par son besoin d’activité immédiate, sans attendre la réalisation des théories qu’il appelait « à longue distance », il ajoutait mentalement :

— C’est vrai, mais cela c’est l’histoire de demain. En attendant, il nous faut vivre celle d’aujourd’hui : la parole n’est pas encore aux groupements ouvriers.

De nombreux électeurs radicaux-socialistes de Chôlon lui avaient déjà proposé une candidature législative. Souriant, le maire de Climy leur avait répondu :

— Vous êtes plus pressés que moi. Un an nous