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laquelle il se livrait jadis. Toutefois, cette surveillance était plus discrète et même Bernard eût pu s’imaginer qu’elle avait pris fin si, de temps à autre, il n’eût aperçu Mme  Canul rôdant autour de sa maison pour noter les visiteurs.

Car des camarades venaient assez souvent, le soir ou l’après-midi du dimanche, échanger quelques idées avec lui. La grande et unique chambre où il travaillait, mangeait et couchait, devenait parfois un véritable club, un club où cependant on parlait sans vociférer et sans rechercher les effets oratoires.

De ces visiteurs, le plus habituel était Brossel. Le correspondant de l’Union populaire ressentait pour Bernard une sympathie grandissante et, en même temps, avait plaisir à discuter avec un homme à l’esprit nourri pendant les longues veillées de la saison triste.

Ce soir-là, ils avaient, étant seuls, discuté la question du syndicat des hommes de peine. Brossel s’en montrait peu enthousiaste.

— Je comprends bien votre pensée, disait-il. Sont hommes de peine tous ceux qui, manquant des moyens de vivre indépendants, sont obligés de vendre leur travail à un exploiteur, dans quelque branche professionnelle que ce soit. Tous ont le même intérêt à une transformation économique de la société ; tous doivent fraterniser : c’est parfait. Pourtant ne craignez-vous pas qu’un groupement aussi vaste ne soit envahi par des éléments hétérogènes ou même suspects qui en pourront faire, non plus une force ouvrière, mais un obstacle ? Voyez ce qui s’est produit, il y a quelques années, à Paris : une chambre syndicale des hommes de peine, qu’on y a fondée, a été aussitôt envahie par un ramassis de filous et de mouchards.

— L’idée n’en était pas moins bonne, si la réalisation a été mauvaise, répondit Bernard. Et, d’ailleurs nous sommes à Mersey et non à Paris, où existent