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à l’auberge même, où Panuel lui avait improvisé une retraite que nul n’eût pu découvrir, demeurait donc maître du terrain.

Il avait enlevé avec un acide la teinture qui lui blanchissait les sourcils, la moustache et les cheveux, fait disparaître quelques fausses rides et était redevenu, à l’émerveillement de Berthe, ce qu’il était réellement : un homme de quarante-trois ans, vigoureux de corps, resté jeune d’énergie et bien conservé de figure, malgré les terribles épreuves qu’il avait subies.

Panuel, menuisier très habile, n’avait eu qu’à scier quelques planches de la cloison dans la chambre de Geneviève, à vider l’intérieur et à rajuster les planches, à la façon d’un panneau mobile en effaçant toute trace de son travail pour préparer à son ami un refuge qui pouvait servir en toute occasion.

Mais Détras n’avait pas eu besoin de faire usage de cette cachette. Martine était parti, décidé à ne plus revenir.

Quelques jours d’indicible bonheur s’écoulèrent pour la famille dont faisait partie Panuel. Ce bonheur rachetait les angoisses et les souffrances de dix années.

Le soir, une fois la porte du cabaret fermée et les volets clos. Détras dans la chambre du premier étage, racontait aux siens, attentifs, émus au point de ne pouvoir parler, ce qu’avait été sa vie, au bagne, le voyage de Saint-Martin-de-Ré à La Nouvelle, les brutalités de Carmellini, l’évasion de ce camp effroyable de Bouraké, où était mort le malheureux Janteau, sa lutte avec les chiens sauvages du Ouitchambô, puis la suite de son odyssée, l’Australie et la Nouvelle-Guinée.

Berthe frémissait et s’extasiait successivement ; elle se sentait fière d’avoir un père qui avait traversé victorieusement tous ces dangers. Quant à Geneviève, elle pâlissait en entendant ces récits terribles et sou-