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retrouvaient le fils, le père ou le frère qu’elles croyaient perdus. Mais bientôt cette joie s’éteignait par respect pour la douleur des autres.

On savait maintenant que le sinistre était survenu à la galerie 465 et, bien que des Gourdes lui-même eût crié à la foule qu’il ignorait les noms, ces noms commençaient à circuler :

Boudot… Faubert… Perlat… Lallemand… Dubard…

Les débris informes des victimes venaient d’être remontés et déposés sur une grande toile étendue à terre. D’un geste spontané, la foule se découvrit, et comme des Gourdes, préoccupé, restait coiffé, une voix anonyme lui cria, menaçante :

— Chapeau bas ! Ceux-là sont des victimes du travail.

Des Gourdes, pâle, enleva son chapeau. Il ne manquait pas de courage, mais ce courage ironique de gentilhomme se sentait glacé devant le grondement de cet être anonyme et multiple, le peuple, terrible, insaisissable comme un élément.

La cage remonta une fois encore et ce fut la dernière. L’ingénieur Paquet, Moschin, tous ceux qui étaient descendus ensemble, apparurent et, au même instant, une voix, celle de Bernard, tonna dans la nuit :

— Tous les hommes de la galerie 465 ont péri. Leur assassin n’est pas le grisou, c’est le capital !

Le baron des Gourdes se sentit frappé au cœur, et avec lui Moschin malgré son audace, le maire, le commissaire, tout le haut personnel de la mine. Les paroles de Bernard étaient tombées, vengeresses, et sonnaient comme un clairon de guerre sociale. Et un frisson visible de révolte courait sur cette foule de miséreux, d’exploités, chair à travail et à grisou, esclaves, enfants et parents d’esclaves condamnés à laisser leur vie dans les abîmes, pour entretenir la splendeur des parasites.