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vait parlé que dans les réunions syndicales pour discuter sur des questions terre à terre. Maintenant, il allait s’adresser à la foule, s’élever à des considérations d’ordre général. Il ne se sentait ni effrayé, ni grisé à la pensée de paraître sur les planches devant tout ce monde ; il craignait plutôt de ne pas trouver assez facilement des termes pour se faire bien comprendre d’esprits simplistes, étrangers à toute théorie socialiste.

Calme, du moins dans ses allures, Bernard sentait que ce jour-là allait être décisif dans sa vie. Il avait soif et hâte de se laver par une grande manifestation publique des soupçons qui avaient pesé, qui pesaient encore sur lui. Ce meeting, organisé au bénéfice des ouvriers surpris par Moschin au Fier Lapin et renvoyés, lui permettrait de crier tout haut la vérité, de dévoiler les méfaits de la Compagnie, les vols de Troubon, les brutales vexations des chefs de mine et de montrer comment toute l’organisation capitaliste est faite pour l’écrasement du travail. Après, on le renverrait certainement. Tant pis, son innocence serait ainsi prouvée de façon éclatante aux yeux des camarades, qui rougiraient de leurs défiances.

Dès une heure et demie, des groupes grossissant à vue d’œil, stationnaient à la porte du Fier Lapin, D’autres occupaient les alentours de la gare. Nulle part, cependant, on ne voyait les uniformes de la police ou de la gendarmerie.

Le train amenant les orateurs devait arriver à deux heures quinze, juste trois quarts d’heure avant l’ouverture de la réunion.

Bernard et Brossel se promenaient devant la gare pour recevoir les arrivants. Un peu plus loin, une délégation de tailleurs et de cordonniers. Ces deux corps de métier ont toujours été très avancés : menacés à Mersey par la concurrence de l’ouvroir et n’étant pas directement sous la coupe du baron des Gourdes, ils osaient manifester par leur présence