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créatures humaines ne peuvent vivre d’air et de verdure. Elle tourna ses pas vers la ville ouvrière.

Les rues apparaissaient presque désertes, le bétail ouvrier étant au travail. Seules allaient et venaient quelques ménagères, tandis que des boutiquiers, au seuil de leur porte, regardaient d’un air indifférent. De-ci de-là aussi de petits groupes de soldats, flânant en suivant de l’œil les bonnes de bourgeois.

Sans savoir comment, Céleste se trouva tout à coup sur une grande place. Devant elle, s’élevait une statue en bronze, celle de Schickler Ier, le grand ancêtre, fondateur de la dynastie, et, à ses pieds, une femme du peuple à demi agenouillée soulevant son enfant vers le maître. Au bas cette inscription : « Voilà celui qui nous a faits. »

La jeune fille regardait machinalement le groupe des trois personnages. Oui, c’était bien cela, symbolisé pour l’édification du peuple ouvrier : l’agenouillement perpétuel du travail esclave devant le capital triomphant, les générations naissantes se succédant, élevées dans le même culte d’adoration au dieu humain, maître et exploiteur.

Tout cela, Céleste le sentait d’instinct ; les causeries de Galfe avaient développé en elle le sens droit et l’aspiration vers la justice, fortifiés par son apprentissage pénible de la vie.

Et pourtant c’était à Schickler, représenté par ses agents, qu’elle allait demander le pain de l’esclavage. Il le faudrait bien !

— Céleste Narin !

À cette exclamation, elle sursauta. Devant elle se tenait un homme, jeune encore, vêtu d’un complet de drap bleu et coiffé d’un large chapeau mou. Sous un binocle brillaient deux yeux bleus, intelligents et bons.

Et comme Céleste demeurait muette de saisissement, ignorant comment cet individu, qu’elle ne se