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— Lors de l’amnistie, tous ces brigands sont rentrés en France, et notre région se trouvant sur leur route, ils s’y sont naturellement répandus…

— Ces gens qui ont voté l’amnistie, prononça le banquier Hachenin, il faudrait les brûler à petit feu.

— Et encore, ce ne serait pas assez, appuya le commandant Estelin.

— C’est à Lyon qu’ils ont constitué leur quartier général, poursuivit de Mirlont. C’est de là qu’émanent tous les ordres de leur chef suprême, le prince russe Kropotkine.

— Comment ! Que dites-vous ? Un prince chef des anarchistes ? exclama stupéfaite Mme  de Fargeuil.

— Oh ! celui-ci est un prince unique dans son genre, pour l’honneur de la noblesse, répondit vivement le gentillâtre. C’est lui qui a fait assassiner le tsar Alexandre II ; après quoi, condamné à mort dans son pays, il est tranquillement venu en France pour y bouleverser la société.

— Et la République le laisse libre… naturellement ! constata l’évangélique curé de Mersey.

Chamot, terrifié, levait les yeux au plafond et serrait convulsivement les poings. Mme  Chamot était devenue très pâle : l’idée qu’une armée anonyme, insaisissable, de furieux malfaiteurs, allait se répandre dans la région, s’attaquant aux personnes et aux propriétés, venant peut-être l’assassiner après avoir égorgé son mari et violenté sa nièce, la bouleversait. Les autres dames paraissaient aussi peu rassurées ; même les demoiselles Scheyne, tout en conservant leur sourire, ne semblaient pas exemptes de quelque émotion. Le banquier Hachenin était pourpre d’indignation ; le notaire, visiblement inquiet, regardait le commandant comme pour lui demander sa protection, le cas échéant. Et l’ancien officier, se disant qu’il devait dans cette épouvante personnifier le courage militaire, veillant à la défense de la société