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la valait pas pour le travail ? Si jamais cette ferme devenait à elle par son mariage avec Jean, on verrait si elle ne s’acharnerait pas à faire produire les pierres mêmes.

Elle était laide, c’est vrai, on le lui avait dit et fait sentir peu généreusement. Mais est-ce que, aux champs, il faut faire tant de manières, rechercher comme à la ville la blancheur des dents et la finesse de la taille ? On n’a pas le choix et elle se répétait, en l’appliquant à Jean, un proverbe vulgaire : « Chien enragé mord partout. »

Et puis, à défaut de beauté, elle était d’une famille honorable. Dieu merci ! on n’eût pu dire d’elle comme de la Lucette qu’on ne savait d’où elle venait. Outre son père et sa mère, journaliers pauvres, morts à la peine après toute une vie de travail au service des mêmes maîtres, elle avait eu un grand-oncle garde champêtre à Saint-Ambre — les registres de la commune en faisaient foi — et même un frère aîné, sorti des zouaves caporal-fourrier, et entré au service de l’État, dans la police de sûreté. À la vérité, depuis de longues années, elle n’avait eu de nouvelles de ce frère qu’elle pouvait revendiquer comme une gloire de la famille, mais elle le retrouverait s’il le fallait. Voilà une filiation qui valait bien quelques écus au soleil !

La Martine connaissait Pierre Mayré et n’était pas sans appréhensions sur la façon dont il accueillerait son désir de l’avoir pour beau-père. Pourtant, puisqu’il avait consenti à un mariage avec une sans-le-sou comme la Lucette, il ne pouvait se montrer intraitable : il n’y a que le premier pas qui coûte.

Deux jours se passèrent sans que Jean adressât la parole à la Martine ; mais le troisième jour, ce fut elle qui alla à lui.

Elle le guettait et tout d’un coup, au milieu du champ elle surgit devant lui, dans un débraillé qui