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désespoir que de stupeur. Pierre Mayré, qui s’était attendu à voir la jeune fille tomber à ses pieds, folle de joie, demeura étonné. Comment, c’était ainsi qu’elle accueillait l’annonce d’un si grand bonheur ! Non, il ne pouvait en croire ses yeux : c’était sans doute la joie, l’émotion qui la bouleversaient.

Un peu radouci par cette pensée, il continua :

— Je vous dis franchement que ça m’a coûté de consentir, car enfin vous ne possédez rien à attendre ; nous ne savons même pas ce qu’était votre famille et il faudra que vous nous donniez des renseignements sérieux, en nous montrant des papiers. Avant de se marier, il faut se connaître. Personnellement, je n’ai rien à dire contre vous et, si les renseignements sont bons, puisque Jean vous veut absolument, eh bien, autant vous qu’une autre. Il faudra, par exemple, que vous vous montriez digne de ce choix par votre conduite, par votre travail… par votre travail surtout.

Céleste croyait rêver. Quoi, après s’être vue délivrée, elle retombait sous la coupe de ces êtres frustes et violents qui la considéraient comme leur chose, leur propriété vivante ! Après la poursuite brutale du fils, l’injonction catégorique du père lui signifiait qu’elle avait l’honneur d’être élevée à la dignité de première servante, épouse esclave devant donner du plaisir après avoir donné du travail.

— Non, murmura-t-elle, c’est impossible !

— C’est impossible ! qu’est-ce que vous me chantez ? Ah çà ! vous ne me comprenez donc pas puisque je vous dis que je consens… à condition, bien entendu, que les renseignements sur votre famille me prouvent que vous ne m’avez pas menti. Sans quoi, je vous ficherais à la porte de la ferme.

Dans une révolte de dignité, Céleste se redressa.

— Non, fit-elle d’une voix ferme, je ne puis me marier… je ne veux pas.

Pierre Mayré demeura un moment foudroyé de stupeur. Puis il éclata :