ces paysans, bons calculateurs, que la recherche par leur rejeton, d’une fille sans argent, ni terre. Pareille chose leur paraissait une monstruosité inconcevable, quelque chose comme une rivière refluant vers sa source.
— Oui, déclara le jeune homme, d’une voix sourde, mais ferme, je l’aime, il me la faut. Comme femme… ça m’est égal, puisqu’elle ne veut pas autrement.
— Voyons, dit le père, en faisant un effort pour dompter son irritation, raisonnons ! Tu as vingt-trois ans, tu es grand, fort, bien bâti, tu es le meilleur parti de Véran : une ferme, trois vaches, huit cochons…
Il s’interrompit dans cette énumération pour juger de l’effet de son éloquence sur son fils. Celui-ci demeurait impassible. Avec une sorte de rage, le fermier reprit :
— Un veau, douze canards, quinze poules, six oies, vingt lapins, plus deux arpents de terre… Voilà notre bien au jour d’aujourd’hui.
— C’est tout de même vrai ! murmura sa femme d’un air admiratif.
— Et quand tu peux prétendre à épouser une fille qui t’en apporterait autant, tu irais prendre une sans-le-sou ! Non, laisse-moi rire !
Pierre Mayré, en effet, éclata, mais d’un rire contraint.
— Je sais bien, fit Jean, tout ça est vrai. Mais puisque nous sommes les plus riches du pays, je n’ai pas besoin de le devenir davantage.
— On ne saurait jamais être trop riche ! fit sentencieusement Pierre Mayré.
C’était l’éternelle pensée de l’âpre cultivateur, du commerçant, du petit propriétaire, qu’il exprimait ainsi. Sans se laisser abattre, Jean riposta :
— Qu’est-ce que ça vous fait, que je marie celle-ci ou celle-là ? Pour la gloriole d’avoir deux arpents de plus et de faire enrager les voisins ? Belle foutaise !