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Céleste, maintenant, sentait qu’elle ne pourrait plus rester à Véran. Elle avait envie de prévenir Pierre Mayré de son départ et n’osait : un sentiment d’angoisse l’en empêchait. Elle était bien libre, cependant, aucun engagement ne la retenant dans cette place où elle travaillait comme un cheval sans gagner un sou.

Non, on ne pouvait l’empêcher de partir, d’aller où elle voulait.

Où elle voulait ! C’est-à-dire sans savoir, droit devant elle, sur la grande route, à la merci de la faim, du froid et des gendarmes !

Elle avait pour toute fortune, qu’elle gardait soigneusement, deux francs quarante-cinq, somme que, déduction faite de ses lettres à Galfe, elle avait économisée sur les trois francs que lui avait en trois fois remis Pierre Mayré pour se rendre à Chôlon.

Sur le corps, elle portait sa même robe de laine noire, incessamment raccommodée et cependant demeurée propre, parce qu’elle la recouvrait dans son travail, même aux champs, d’un grand tablier de toile bleue.

La mère Mayré lui avait, en outre, généreusement fait cadeau d’une camisole hors d’usage, d’une vieille chemise et d’une jupe toute trouée, qu’elle eût jetées aux ordures. Céleste avait, tant bien que mal, rapiécé ces hardes.

Allait-elle, avec une somme et un trousseau aussi dérisoires, partir à l’inconnu ?

Vingt-quatre heures elle hésita. Finalement, Jean ne lui adressant pas la parole, elle résolut d’attendre encore.

Des jours se passèrent, pendant lesquels, à tout moment, elle s’interrompait de travailler et tournait la tête, craignant de voir surgir brusquement, décidé à tout, le fils Mayré. Des nuits aussi, remplies d’insomnies et de brusques réveils causés par le moindre bruit.