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La caserne est un lieu d’où les uns — les affinés sans force de résistance — sortent broyés ou abrutis, tandis que d’autres — les tout primitifs — y perdent quelque chose de leur simplicité fruste. Jean Mayré avait été de ces derniers : le contact avec des fils de paysans, d’ouvriers ou de bourgeois l’avait un peu dégrossi, en tout cas, lui avait enlevé une certaine gaucherie hésitante.

La tendresse vénale de deux ou trois de ces malheureuses dédaigneusement appelées « paillasses à soldats », celle plus désintéressée d’une cuisinière, et par-dessus tout, la conscience qu’il pouvait être, s’il voulait, le coq de Véran, avaient enlevé à Jean toute timidité dans ses rapports avec le sexe faible. Deux ou trois fois, il adressa la parole à Céleste, délibérément, n’attendant qu’un mot d’elle pour aller plus loin. Elle en eut l’intuition et demeura sur la défensive, polie, mais réservée, répondant tout juste d’un monosyllabe.

— Fait-elle sa bégueule ! songeait la Martine qui continuait à l’épier et qui se disait que si semblable occasion lui fût arrivée à elle, jamais elle n’eût été assez bête pour se refuser.

Elle croyait d’ailleurs que, si sa compagne de travail se montrait indifférente à des avances aussi flatteuses, ce ne pouvait être que par calcul, afin de se faire valoir plus cher.

Jean demeura étonné. Il ne s’attendait pas à ce qu’une simple fille de ferme demeurât insensible lorsque lui, fils du maître, lui faisait l’honneur d’avoir envie d’elle. Peut-être avait-elle un amant ? Il s’informa à ses parents qui devinèrent la cause de sa question et ne s’en émurent pas. Non, la Lucette était sage ; il n’y avait rien à dire sur son compte : on ne lui connaissait personne.

Attiré par cette résistance qui lui semblait inexplicable, Jean revint à la charge. Il se montra plus