Page:Malato - La Grande Grève.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Chamot et des Gourdes ayant un égal désir de se rencontrer, il était évident que la rencontre finirait par se produire. Restait à savoir comment, et où elle se produirait : les bons pères, qui s’intéressaient si activement à la chose, décidèrent que ce serait chez la comtesse de Fargeuil.

À quelques kilomètres de Mersey, sur la route du Brisot, s’élevait, au sommet d’un coteau entouré de vignes, une construction spacieuse, d’élégance banale, le château de Fargeuil, qui portait le nom de sa propriétaire.

Celle-ci était une créature étrange et belle, d’environ trente ans, arrivée de la Martinique cinq ou six années auparavant et qui appelait Mme  Schickler sa tante. Elle avait été mariée à un viveur du second Empire, qui, à la suite de peccadilles d’argent, abus de confiance et faux, disparut un beau jour pour aller mourir à l’étranger. Mme  de Fargeuil, qui n’appartenait pas à l’espèce rare des veuves inconsolables, n’en fut pas affectée et se livra sans hypocrisie à toutes tes impulsions de son ardente nature tropicale.

Grande et souple, avec cette démarche majestueuse que Virgile prêtait aux déesses, le teint mat, la lèvre voluptueuse, l’œil noir chargé d’éclairs, la comtesse de Fargeuil venait d’atteindre cet âge, apogée de la beauté féminine : trente ans. Perle tropicale, égarée par le caprice des événements dans cette région industrielle de la France, elle y était courtisée, adulée par tout ce qu’il s’y rencontrait de jeunes élégants et de vieux beaux appartenant à son monde.

Franche et naturellement humaine, il ne lui manquait, pour être excellente, que d’avoir vu le jour et grandi dans un autre milieu. Mais, dès le berceau, elle avait été la proie des imposteurs religieux. Jeune fille, elle avait reçu l’éducation vide des indolentes créoles, éducation faite de préjugés et de supersti-