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payée pour la capture de tout évadé, l’eussent infailliblement vendu.

Notre civilisation a fait de ces anthropophages, belliqueux mais hospitaliers et communistes, des ivrognes, des bigots et des policiers, adorant la pièce de cent sous !

Détras avait eu de la chance de tomber sur un ivrogne en état d’ébriété. Malgré sa résolution de ménager son argent, il n’hésita pas à dépenser six francs, moyennant lesquels Nundo lui livra une sorte de caleçon tombant juste au genou et qualifié superbement de pantalon, du fil, des aiguilles et une boîte d’allumettes. Après quoi, le marchand à peau bronzée, satisfait de cette transaction, offrit à Détras la moitié d’une igname bouillie et un morceau de poisson fumé.

Depuis longtemps l’évadé n’avait pas fait pareil repas. Treize jours s’étaient écoulés depuis sa fuite de Bouraké et, si l’on en excepte la viande de chien et quelques koulas ou poissons, sa nourriture avait surtout consisté en végétaux crus.

S’étant ainsi à demi restauré, Détras se retira, emportant sa marchandise. Nundo lui avait indiqué une case inhabitée : il y passa la nuit, cousant les lambeaux de son pantalon au caleçon qu’il avait acheté et se confectionnant de la sorte un vêtement sinon élégant — il s’en fallait ! — du moins acceptable dans cette brousse néo-calédonienne où circulent colons, libérés, mineurs et stockmen[1], qui n’ont aucune prétention à la coquetterie.

Détras demeura quarante-huit heures à Bourendy, se reposant et vivant de coquillages qu’il ramassait à la marée basse. Puis il partit, car un plus long séjour eût pu donner l’éveil. Ostensiblement, il se dirigeait

  1. Cavaliers gardeurs de bétail.