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Il reçut un choc et demeura stupide. Ainsi, cette femme racolait les hommes ; cette maison, dans laquelle il avait vécu, honnête, travailleur, entre un père martyr d’une idée, et une compagne modèle, était devenue un lieu de prostitution.

Il eut un gémissement étouffé, sa main serra convulsivement le bâton et, brusquement, il partit.

Où allait-il ? Il ne savait. La loi avait fait de lui un être en dehors de l’humanité, quelque chose comme un mort vivant. À quel habitant de Mersey eût-il pu se confier ?

Tout d’un coup, reprenant conscience, il se trouva dans le bois de Varne. C’était là que se réunissaient autrefois clandestinement les mineurs pour fonder une société de secours mutuels : c’était là que Baladier, le mouchard, prêchait la révolution sociale ; c’était là que, dans la nuit de l’attentat, il avait été arrêté par la police.

Les grands arbres, témoins muets de ces événements, étaient toujours là. Il retrouvait, courant entre les buissons, la route de la chapelle et, par une association d’idées, la figure de l’abbé Firot surgit dans sa pensée.

Cette évocation lui rendit tout son sang-froid. Il avait, quoi qu’il pût arriver, un terrible compte à régler avec le misérable, cause initiale de sa catastrophe ; le désespoir est le refuge des âmes faibles, il ne devait pas s’y abandonner.

Calme, résolu, il envisagea la situation.

Il ne pouvait, malgré son déguisement, continuer à fouiller Mersey, s’enquérant au hasard, sous peine d’éveiller des soupçons. Sûrement, il existait encore d’anciens camarades de la mine ; mais était-il prudent d’aller les trouver ? Qui sait quels changements d’idées avaient pu produire dix années !

Un nom, cependant, lui venait à l’esprit : Ronnot. Celui-là était un camarade sérieux et sagace, plus même qu’un camarade : après Panuel, c’était un ami.