Page:Malato - La Grande Grève.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Certes, quand on est la nièce d’un millionnaire sans enfants, on ne manque jamais de prétendants.

La société bourgeoise, qui flétrit la prostitution des filles pauvres, encourage et glorifie le mariage d’argent, la forme la plus caractéristique de ce marchandage sexuel, puisque, cette fois, la prostitution est à vie. Aussi, Mlle Julia n’eût-elle eu qu’à choisir parmi les soupirants attirés par l’espoir d’une grosse dot : ingénieurs sortis en un rang honorable de l’École centrale et apparentés à des personnages politiques ; avocats, naissantes lumières du barreau, également prêts à défendre la victime et le bourreau, le peuple souverain et le financier escroc ; futurs conseillers d’État et jeunes officiers aux victorieuses moustaches et aux bottes impeccables, reflétant l’âme militaire dans leurs miroitements, tout le régiment select et servile des coureurs de dot avait défilé dans les salons de Chamot ou postulait pour y être présenté.

Mais le directeur-gérant des mines de Pranzy était difficile : ses millions lui en donnaient le droit. Il connaissait d’ailleurs l’esprit de sa nièce, ambitieux sous une apparence placide d’eau dormante, et cela n’était pas pour lui déplaire. Il fallait à la jeune fille un mari qui eût la naissance, un nom et un titre ouvrant toutes les portes ; peu importait la fortune : Chamot était là pour y pourvoir. De cet aristocrate emmillionné, Julia se chargerait bien de faire un homme politique : un député — avec de l’argent on achète les électeurs — puis, pour peu qu’il eût quelque étoffe, un ministre — les honorables collègues ne sont pas plus incorruptibles que le suffrage universel.

Tout en naviguant dans les mêmes eaux conservatrices que Schickler (un autre roi, le roi de l’acier, au Brisot), Chamot jalousait ce dernier. Ne pouvant rivaliser avec lui par le chiffre de la fortune, quel triomphe s’il rétablissait l’égalité par un mariage