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des Gourdes, les deux autocrates de la mine. Par le premier, les ouvriers y entraient et en sortaient ; par le second, ils étaient soumis aux règlements les plus tyranniques. Pour entrer, il fallait d’abord posséder un casier judiciaire blanc et un livret vierge de ces annotations en apparence anodines qui signalent les travailleurs irrespectueux de l’autorité patronale ; il fallait, ensuite et surtout répondre aux questions que posait Moschin et par lesquelles il s’assurait si l’homme était un raisonneur ou une simple brute. Dans le dernier cas, l’embauchage se faisait sans difficulté ; dans l’autre, l’individu était refusé, ou, si le besoin de bras se faisait sentir, accepté, mais mis en observation. Un homme de l’équipe jouait le rôle de mouton et aux premières paroles imprudentes, le signalait à Moschin qui lui faisait donner son congé.

Troubon, lui, s’assurait, en centralisant les écritures, que les serfs de la mine, dépensaient la plus grande partie de leurs salaires en se fournissant dans les cantines et magasins installés par la Compagnie de Pranzy. Si l’homme faisait des économies, la police de Moschin cherchait à s’assurer qu’elles ne passaient point en achats de brochures et livres subversifs ou en souscriptions pour des grévistes, ce qui l’eût fait renvoyer immédiatement.

Bernard avait, comme les autres, subi l’interrogatoire de Moschin. À la question : « Que pensez-vous des grèves ? » il s’était laissé aller à hausser les épaules sans rien dire. Ce geste lui avait valu une bonne note, en même temps que son mutisme avait satisfait l’examinateur : « Il ne sait pas parler, avait-il pensé. Ah ! si tous les ouvriers avait la langue coupée ! »

Bernard, en effet, considérait la grève comme une arme insuffisante pour amener l’émancipation du prolétariat. Il savait très bien que le plus souvent elle se termine par l’écrasement des travailleurs qui