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Si les prolétaires se condamnent aux plaisirs abrutissants du cabaret, n’est-ce point parce que leur situation sociale leur interdit les plaisirs plus élevés ?

N’est-ce point parce que la fatigue de travaux qui, selon une énergique expression, font couler le cerveau dans les bras, le manque de temps et d’éducation première leur enlèvent toute possibilité de s’initier aux jouissances de l’art et de la science ?

Et c’est l’oubli momentané de sa condition de bête de somme que le déshérité cherche au fond de la bouteille.

Mais que disparaisse le salariat, restant de l’esclavage antique et du servage médiéval, et l’ivrognerie disparaîtra, elle aussi. Deux générations pourront suffire pour éliminer de la société transformée les éléments morbides, tristes fruits de l’exploitation économique et de l’atavisme.

En outre, les Palais du peuple, où se trouveront réunis tous les plaisirs et délassements intellectuels ou physiques, n’existant jusqu’à ce jour qu’à l’état de rêve prophétique ; les Universités populaires demeurant le plus souvent inaccessibles au prolétaire inculte et les Bourses du travail commençant seulement à surgir dans les grandes villes, où donc mieux qu’au Fier Lapin eussent pu se réunir les mineurs de Mersey par ce chaud après-midi de juin 1893 ?

Du reste, nous l’avons dit, ils buvaient modérément et seulement parce qu’il est impossible de s’installer chez un débitant sans consommer.

On pouvait voir, à l’attention avec laquelle le plus grand nombre suivaient une conversation soutenue par une demi-douzaine d’entre eux, qu’ils s’étaient réunis pour discuter une question sérieuse et non pour boire bouteille.

— En résumé, disait un mineur d’environ trente ans, à la physionomie sagace et décidée, on nous reprend d’une main ce qu’on est forcé de nous