ter par des forçats que, au lendemain de la destruction des tribus insurgées de l’Aoui, massif montagneux s’étendant entre la côte est et la côte ouest, à peu près dans la région où il se trouvait, les rares chiens et les plus rares chats à demi domestiqués par les Canaques avaient repris leur entière indépendance. Revenus à l’état primitif de leur race, les chiens, tels des loups, s’associaient par bandes pour chasser moutons et jeunes veaux ; le chien canaque, d’ailleurs, hostile à l’Européen et nationaliste à sa manière, a toujours eu un fond de férocité. Les chats, eux, ne pouvant d’un seul bond évoluer jusqu’au tigre, devenaient tout au moins des chats-tigres, chasseurs, carnassiers. Ainsi se créent et se transforment, sous l’influence du milieu et de la lutte pour la vie, les races animales.
L’évadé comprenait maintenant qu’il avait eu affaire à un couple de chiens sauvages, logés en véritables troglodytes dans cet abri sous roches, éloigné des routes fréquentées et d’où ils s’élançaient à la poursuite des bestiaux errants, pour revenir apporter à leurs petits les débris de leur chasse.
— Puisque des chiens y ont vécu, je pourrai bien y vivre ! pensa Détras.
L’idée ainsi exprimée peut sembler peu flatteuse pour le fugitif ; elle n’en était pas moins profondément exacte. La société n’avait-elle pas fait de lui un être en dehors de l’humanité et obligé de se cacher comme un fauve, de vivre de la vie des bêtes ?
Maintenant le soleil se couchait derrière les pics, embrasant le ciel d’une rougeur d’incendie. Peu à peu les nuages pourpres et or se violaçaient. À l’orient, le croissant pâle de la lune s’élevait au-dessus de la mer qu’on ne voyait pas, mais qu’on devinait, immense, derrière la cime boisée des monts. Du sommet du Ouitchambô sans doute devait-on apercevoir des deux côtés de l’île l’étendue azurée du