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— Mes amis, clama-t-il d’une voix chaude qui impressionna en sa faveur, — car les orateurs ont toujours séduit beaucoup plus par la forme de leur débit que par la puissance de leurs idées, — je tiens d’abord à vous dire qui je suis, afin que vous voyiez que j’ai le droit de me dire des vôtres.

Mon père, ouvrier graveur, plusieurs fois condamné pour avoir attaqué l’Empire, a été fusillé par les bandits de Versailles, lors de la défaite de la Commune.

Un grand cri s’éleva, comme une voix de la terre, qui emplit la forêt :

— Vive la Commune !

— Oh ! oh ! pensa Michet, ils s’échauffent.

Ronnot, surpris, regardait Baladier. Celui-ci avait les yeux humides, la figure tirée dans un rictus farouche, comme devant la vision de quelque scène tragique ; ses poings se fermaient, menaçants.

— J’étais soldat, encore prisonnier en Allemagne, continua l’agent provocateur, lorsque mon père fut ainsi assassiné par les soudards, laissant ma pauvre mère seule, sans ressources, sans appui, minée par les souffrances morales qui devaient bientôt la conduire au tombeau. Ce sont, voyez-vous, citoyens, des souvenirs qu’on n’oublie jamais…

Il s’arrêta une seconde, comme vaincu par l’émotion, et examina à la dérobée l’effet de son éloquence sur les mineurs. Cet effet était considérable : les visages de ses auditeurs reflétaient l’émotion, quelques yeux même se mouillaient.

Baladier eut une jouissance d’artiste et continua :

— Pour moi, rentré dans la vie civile, c’est-à-dire dans l’esclavage du travail et de la misère, pour moi, déshérité comme vous, exploité comme vous, ayant de plus que vous l’inoubliable souvenir de mon père et de ma mère assassinés par une société infâme, j’ai fait le serment de consacrer mes forces à détruire cette société-là ou à mourir.