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bien solide : j’avais vu ça tout de suite… Enfin, continuez ce travail et ce soir vous mangerez la soupe avec nous.

— Et pourrai-je coucher dans un coin ? hasarda timidement la jeune fille.

— Coucher !… Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Je ne reçois pas comme ça sous mon toit les premiers venus.

— Monsieur, supplia Céleste, vous n’aurez pas à vous en repentir.

— C’est possible, mais je ne vous connais pas. Avez-vous des papiers ?

— Non, fit la jeune fille.

Elle comprenait bien l’impossibilité de lui raconter son histoire. Ce que le paysan y eût vu de plus clair, c’est qu’elle était la maîtresse d’un dynamiteur, d’un forçat, et qu’elle-même avait été en prison. Loin de se sentir apitoyé, il l’eût mise à la porte à coups de fourche en ameutant contre elle tout le village.

— À votre âge, reprit Mayré, on ne se promène pas comme ça toute seule sur la grande route. On reste dans sa famille.

— Je n’ai plus de famille, répondit Céleste.

— Quoi ? plus de famille ? On a bien un père ?

— Mon père est mort.

— Une mère ?

— Elle est morte.

— Des frères, des sœurs !

— Je n’en ai pas.

— Sacrebleu ! s’écria Mayré impatienté. On a alors un mari ou un amant.

Un amant ! Céleste pâlit et se sentit défaillir, évoquant l’image de Galfe, s’embarquant au milieu du troupeau des forçats à destination de la Nouvelle-Calédonie.

— Je n’ai pas et n’aurai jamais d’amant, murmura-t-elle comme se parlant à elle-même.