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sa besogne et s’était rapprochée pour écouter. Elle considérait en dessous cette arrivante avec la jalousie sourde et haineuse des salariés pour les misérables comme eux, en lesquels ils devinent des concurrents possibles.

Mayré s’en aperçut.

— La Martine, cria-t-il d’un ton qui n’admettait pas de réplique, allez donc voir à la cuisine si j’y suis.

Puis se tournant vers Céleste :

— N’importe quel travail, ricana-t-il, c’est facile à dire. Reste à savoir si vous en seriez capable. Vous m’avez l’air d’une demoiselle de la ville plutôt que d’une fille de ferme.

C’était absolument vrai. La jeune fille eût pu servir de modèle à un sculpteur ; elle apparaissait d’une tout autre espèce que le vigoureux laideron au service de Pierre Mayré.

Toutefois, Céleste se rendit bien compte que cette phrase, dans la bouche du terrien, n’était pas un compliment. Elle s’empressa de protester :

— On peut être forte sans être grosse, répondit-elle.

— Oui-dà. Eh bien, nous allons voir. Prenez-moi ça.

Il tendit sa fourche à Céleste qui la saisit, commençant à espérer.

— Là, maintenant, enfourchez-moi une brassée de ce foin et lancez-la dans la cour, sur le tas.

Céleste se raidit dans un effort et exécuta l’ordre du fermier. Elle était, en effet, sinon très vigoureuse, du moins plus forte qu’elle ne le paraissait. Son enfance de durs travaux dans les fermes et au couvent de la Merci avait développé ses muscles. Pierre Mayré demeura étonné : néanmoins, il se garda bien de le laisser paraître.

— Peuh ! fit-il dans une moue dédaigneuse, tandis que Céleste continuait à piquer et enlever le plus rapidement possible les brassées de foin. Vous n’êtes pas