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familles qu’ils laissaient derrière eux. Au lendemain de l’infâme verdict, ils avaient ouvert entre eux une souscription destinée à assurer une bouchée de pain à ceux qui restaient sans appui.

Mais eux-mêmes avaient leurs familles, leurs besoins, leurs misères. Cet effort de solidarité pouvait-il se prolonger ?

En même temps, l’implacabilité de Chamot se montrait. Avec une férocité toute cléricale, l’autocrate faisait défendre à ses serfs, sous peine de renvoi, de secourir les femmes ou enfants de ceux que la justice avait frappés.

Les bonnes âmes s’empressaient de faire connaître cet ordre et d’en assurer l’exécution. Les patronnes et petites bourgeoises pour lesquelles travaillait Geneviève, fermèrent peu à peu leur porte à la jeune femme, dans la crainte de se compromettre. L’abbé Brenier fulmina en chaire contre les ennemis de Dieu et de l’Église, condamnés à expier avec leurs femmes et leur descendance jusqu’à la troisième génération. Et tandis que le curé soufflait ainsi la haine et la répression sans pitié, l’abbé Firot, de temps à autre, doucereux par habitude, et plus souvent aigre, car, étant définitivement vainqueur, il était inutile de ménager les vaincus, entretenait dans les âmes la haine contre la « race de Satan ».

La race de Satan ! cette appellation faisait bien, encore qu’elle ne voulût rien dire. Geneviève Détras étant née Bouley et non Satan, les registres de l’état civil en faisaient foi.

Satan, personnification de l’esprit de révolte, a toujours été honoré de la haine de ceux qui prêchent avant tout la soumission. Et pourtant, il n’existe pas, n’a point existé, on n’a jamais relevé la trace de sa naissance. Que serait-ce s’il existait !

L’abbé Firot n’était plus épris de Geneviève. Ou, du moins, s’il lui arrivait de désirer la posséder, c’était bien plus pour affirmer sa victoire que par désir char-