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des malades et bien des fois guéris ; dans la société présente où subsiste encore l’esprit du moyen âge, ils sont livrés à l’autocratie de brutes, en général plus cruelles que les malfaiteurs et incontestablement plus lâches, car elles martyrisent sans s’exposer aux représailles de la loi, abritées qu’elles sont derrière leurs fonctions.

Quiconque a l’horreur du travail et l’amour de l’autorité poussé jusqu’au sadisme féroce peut faire un excellent garde-chiourme. A-t-on oublié les hauts faits de ce Canavaggio qui présentait à ses collègues « sa femme », un jeune forçat — et livrait, attachés, aux morsures des fourmis rouges, des condamnés, nus et enduits de la tête aux pieds de sirop de sucre ?

Carmellini n’allait pas jusqu’à cette dernière atrocité, réservant le sucre pour son absinthe. Toutefois, il était la terreur des condamnés.

Tel était l’homme entre les mains duquel tombaient Albert Détras et Janteau.

Les souffrances morales que, pendant deux mois, ils endurèrent furent inexprimables. À maintes reprises, Janteau fut sur le point de se suicider.

— Courage ! lui répétait son ami. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Et, parfois, il ajoutait :

— Mourir ainsi serait lâche. Si je me sentais définitivement à bout de forces, eh bien, avant de mourir, je ferais justice de mon bourreau.

Il ne faudrait pas croire cependant que l’idée de tuer Carmellini germât dans le cerveau de Détras. Non, si odieux que fût le garde-chiourme, il n’était qu’un vulgaire misérable, tortionnaire comme tant d’autres. Et, dans la tempête qui grondait dans sa tête, il s’étonnait de ne ressentir pour ce tortionnaire actuel que presque de l’indifférence.

Mais, autrement criminel que cette brute ignorante, féroce par métier, il était un homme dont l’image ne quittait pas sa pensée : l’abbé Firot.