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leurs matraques. C’était toute une revanche de race !

Par l’escalier abaissé de bâbord, les transportés descendirent un à un dans la chaloupe qui les attendait. Puis lorsqu’elle fut remplie, trois grands chalands qu’elle remorquait s’approchèrent et, successivement, prirent leur chargement de forçats.

Quand ce fut terminé, l’enseigne qui commandait la chaloupe fit entendre un strident coup de sifflet auquel répondit de chaque chaland un autre coup de sifflet. Et toute cette flottille, chargée de misérables, s’éloigna vers la terre maudite de l’île Nou.

Parmi les condamnés du premier chaland, il en était un qui contemplait ce rivage de plus en plus proche avec une expression visible d’amertume et de frayeur. On eût dit qu’il s’attendait à y voir apparaître quelque figure redoutée.

C’était Bernin, le mouchard, que de nombreux forfaits, ou, si l’on préfère, une sorte de justice immanente, envoyaient rejoindre enfin ses victimes.

L’ancien mouchard avait actuellement quarante-cinq ans, mais on n’eût pu lui donner d’âge. Les angoisses et la faim — car la ration du condamné, encore réduite par les vols, est juste suffisante pour l’empêcher de mourir — avaient creusé ses joues et ridé son visage. Ses yeux enfoncés dans les orbites brillaient d’un feu sombre, avec parfois quelque chose d’égaré et de terrifié. Le peu qui subsistait de son poil rasé aux lèvres et au menton, coupé court sur le crâne, était presque blanc.

— S’ils pouvaient ne pas me reconnaître ! pensait-il.

Ils, c’étaient les mineurs de Mersey, encore au bagne depuis dix ans.

À peine avait-il été lui-même condamné, des spectres avaient surgi devant sa vision effarée.

Détras, Janteau, forçats eux aussi ; Galfe condamné à finir ses jours au bagne, l’attendaient sans doute là-bas ; il allait les retrouver, être obligé de