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de trois cents forçats, destinés à extraire le cuivre des mines de Balade. Ces esclaves blancs devaient être payés par le millionnaire anglais dix centimes par jour, nourriture et habillement restant aux frais de l’État. Du coup, le travail libre et le petit commerce furent tués dans la région : les mineurs de profession, les charpentiers, les mécaniciens, dont plusieurs gagnaient de douze à quinze francs par jour, durent céder la place aux transportés, travaillant gauchement mais autant dire pour rien.

Quelques amis m’avaient conseillé d’entrer dans le commerce : j’avoue que la perspective de métrer du calicot ou de peser de la cassonade n’excitait en moi aucune émotion agréable. Et cependant, l’épicerie mène à bien des choses ! à Nouméa, elle menait à peu près à tout, grâce sans doute à sa fusion intime avec la nouveauté, l’herboristerie, la parfumerie, la cordonnerie et le débit de boissons. Rien n’était plus commun que d’aller chez l’épicier, marchander un pantalon entre l’achat d’un clyso-pompe et l’absorption d’un verre d’absinthe. Ce soulagement non gratuit des besoins les plus variés avait rendu les épiciers des hommes considérables et considérés, la déférence que l’on refusait peut-être au détaillant d’oignons étant accordée au débitant de sinapismes ou de papier Rigollot. C’était déjà le bazar… moins le coup d’œil, la grandeur, l’agencement et le personnel.

Insensible aux séductions du Doit et de l’Avoir, n’ayant cependant pas l’intention de demeurer les bras croisés, j’entrai dans une distillerie avec la naïve prétention d’y mettre en pratique ce que j’avais de connaissances physiques. O vanitas vanitatum ! Au lieu d’être mis en rapport avec les alambics, les cucurbites et les