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Nous eûmes bientôt un grand chagrin. Parmi les déportés qui avaient fait le voyage avec nous, se trouvait un ex-marin, Ponsard, garçon sympathique et d’à peu près vingt-huit ans. Fortement atteint de la poitrine, il s’était attaché à nous, avec cette affection mélancolique de certains malades, et mes parents qui le lui rendaient l’avaient invité, une fois arrivés, à vivre avec nous comme dans sa famille. Mais son état s’était tellement aggravé qu’on dut le transporter à l’hôpital. Nous allâmes l’y voir : justement, il y avait une amélioration sensible sur les jours précédents. Plus que jamais, nous parlâmes de la vie commune sitôt qu’il serait guéri définitivement, et Ponsard, pâle, la tête soulevée sur l’oreiller, nous suivait de son regard brillant. Il désirait une orange et en trouver n’était pas une petite affaire. Nous envoyâmes à la mission du Sud : le lendemain, ayant le fruit désiré, nous nous levâmes de bonne heure mon père et moi pour aller le lui porter. — « C’est inutile, nous dit ma mère, Ponsard est mort cette nuit, à telle heure : je l’ai senti. » Nous pâlîmes, car nous savions que ma mère, d’une intelligence affinée et d’une délicatesse de nerfs maladive, éprouvait, dans les occasions douloureuses, des pressentiments trop bien réalisés. Nous allâmes à l’hôpital : à l’heure dite, Ponsard était passé de vie à trépas !

Quatre ans s’étaient écoulés depuis l’écrasement de la Commune et l’on ne voyait encore aucun indice de changement : la réaction tenait la France et le monde. Plus d’un, parmi les déportés, commençait à regarder tristement en arrière. — « Ah ! si le petit Badingue pouvait revenir, on ferait l’amnistie et nous rentrerions ! » murmurait un mécanicien. Néanmoins, à l’exception de