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notre paillotte à l’heure des repas, mais : « Madame, disait-il à ma mère, toi, ni pas mettre di la graisse di cochon ». Comment donc ! fils du Prophète, nous enverrons à Nouméa chercher du beurre exprès pour toi ! Ce que nous leur en avons fait commettre à leur insu des transgressions aux sacrés préceptes culinaires.

Ces malheureux, victimes de la cupidité européenne n’ont jamais revu leur pays : il eût fallu faire semblant de leur rendre ce qu’on leur avait volé et cela on ne le pouvait.

Le macaroni à la sauce tomate, confectionné par mon père avec un brio tout italien, les attirait. La vérité m’oblige à déclarer que, à table, ces Arabes démentaient la réputation de sobriété qu’on a faite à leur race. Ils nous remerciaient, à la fin du repas, en tirant de leur gosier quelques-unes de ces éructations sonores qui sont prescrites en pareille circonstance, par leur code de civilité. Cette coutume m’a mis plus tard, dans un grand embarras : j’avais été, ainsi que mon père, invité à déjeuner par Tahar-ben-Resgui, musulman élevé à l’européenne et fils d’un officier d’ordonnance du duc d’Aumale. « Comment faire ? me demandai-je avec anxiété entre le dessert et le café. Si je demeure aphone, sa susceptibilité arabe se froissera. Si je fais fonctionner mon larynx, il est capable, en tant que francisé, de me traiter de cochon. » Je regardais mon père qui demeurait impassible et j’étais tenté de lui crier : « Mais rote donc, ou tu vas nous faire prendre pour des gens sans éducation ! » Il ne broncha pas, et moi je simulai un hoquet étranglé, que notre hôte était libre d’interpréter comme il le voulait. Escobar n’eût guère mieux trouvé.