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velle-Calédonie, l’abondance et la variété de ses produits, la richesse de ses mines ; puis, comme les immigrants tardaient par trop à y affluer, on en introduisit malgré eux. Le 3 septembre 1863, un décret convertit l’île océanienne en pénitencier et, le 2 janvier de l’année suivante, un convoi de deux cent cinquante forçats partait de Toulon à destination de Nouméa.

Depuis, la colonisation libre et la colonisation pénitentiaire n’ont cessé de se livrer un duel à mort. Les forçats libérés sont obligés de séjourner dans le pays un temps égal à celui de leur condamnation : c’est ce qu’on appelle le doublage. Grâce à cette loi, aussi hypocrite que peu connue, un malheureux condamné à cinq de bagne ne peut recouvrer son entière liberté qu’au bout de dix années. Quant à ceux que frappe une pénalité d’un terme égal ou supérieur à huit ans, ils doivent faire leur deuil de toute espèce de retour : ils sont condamnés à vivre et à mourir au lieu d’expiation. Naturellement, les libérés astreints à la résidence sont obligés, ne pouvant vivre de l’air du temps, de s’employer à n’importe quel prix, faisant aux ouvriers libres, la même concurrence économique que, dans les pays de grande industrie, font les étrangers aux travailleurs indigènes. Même les transportés en cours de peine peuvent être engagés par des colons en qualité de garçons de famille, c’est-à-dire de factotums. J’eus, par la suite, auprès de moi le garçon de famille d’un de mes collègues du télégraphe : c’était un ancien instituteur qui, avant d’entrer au bagne, avait fait une pause chez le duc de Morny en qualité de cuisinier. Il maniait la casserole avec génie, mais ses fréquentations aristocratiques l’avaient à tout jamais corrompu : il était menteur comme un député et voleur comme un ministre.