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en quatre ou cinq morceaux qui flambaient comme autant de torches.

Avec ces flambeaux improvisés, nous descendîmes le boulevard dans la direction de la place de la République où, la veille, nous nous étions heurtés aux policiers. Une irrésistible impulsion, ce nescio quid divinum, nous poussait vers la grande place où convergent les artères du Paris révolutionnaire et s’élève la Marianne de bronze, à deux pas des pavés que Delescluze et tant d’autres arrosèrent de leur sang. Je ne sais comment cela s’était fait, j’avais pris rang en tête de la colonne et, quand nous fîmes halte devant la statue, comme il me semblait que la foule attendait quelque chose, en un instant, je me trouvai sur la dernière marche du piédestal, prononçant mon premier discours révolutionnaire.

Qu’ai-je dit ? Des choses justes ou des bêtises ? peut-être l’un et l’autre.

En tout cas, j’agissais sous l’impression du moment et la foule vibrait avec moi : des acclamations s’élevaient, des chapeaux s’agitaient au bout des bras comme pour saluer l’invisible république.

Je redescends, trop pénétré pour savourer une vanité mesquine. Tout à coup, une clameur retentit : « La police ! » En un instant, nous restons quinze.

À nous quinze, qui ne nous connaissions pas, nous battons le pavé jusqu’à deux heures du matin, tâchant de tenir en éveil Paris et la démocratie, tantôt faisant boule de neige dans les rues populeuses, tantôt nous égrenant sous les charges des gardiens de la paix.

On finit par se séparer ; d’ailleurs, que faire ? Nous n’avons ni visées insurrectionnelles ni but fixe. On ne pouvait que manifester : c’est fait.