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battait plus que de raison les flancs du navire, — « Ah ! gémit madame Boisgontier, au milieu de ses compagnes réveillées en sursaut, ce sont des bandes de requins qui assaillent le Var avec leurs cornes ! »

Le mari de madame Boisgontier, qui faisait partie des vingt-cinq déportés, en était certainement le moins sympathique. Digne de sa compagne, il avait, pendant que les autres se battaient, grappillé à l’intendance, tout juste assez instruit pour opérer des soustractions. Ce riz-pain-sel communard était dédaigneusement tenu à l’écart par les autres prisonniers politiques.

Mesdames Ardouin et Redon, dont les maris étaient aussi déportés, soutenaient contre madame Boisgontier, leur aînée de vingt-cinq ans, une guerre ininterrompue. Grosses injures et coups d’épingles, épigrammes, qui circulaient d’un bout à l’autre de la batterie, tracasseries variées, tout était mis en œuvre de part et d’autre. Sur le passage de la duègne, les deux jeunes femmes chantaient à la cantonade :


Dans la batt’rie, c’qu’il y a d’plus beau,
En vérité, c’est le vieux tableau


Inutile de dire qui était le vieux tableau.

La prison, — et n’étions-nous pas sur une prison flottante ? — aigrit le caractère. Il en est de même de l’exil : à Genève, à Bruxelles, à Londres, les membres des diverses proscriptions se sont toujours déchirés, se jetant à la tête les responsabilités de la défaite et les imputations outrageantes. La vie incessamment commune, sans possibilité de s’isoler à intervalles nécessaires, finit par exacerber les natures délicates. Partis de France avec un esprit unanime de tolérance et de solidarité, les