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ci aux gabiers. Mais aucun de ces braves n’osait s’approcher à portée du redoutable couteau. De loin, ils lançaient des nœuds coulants que le gendarme évitait ou tranchait, des pièces de bois par dessus lesquelles il sautait légèrement. Une dizaine, grimpés dans les haubans, n’attendaient que le moment de s’abattre sur lui, mais aucun ne s’approchait : tout l’avant du navire était à ce seul homme.

Pendant près de dix minutes, il défia les efforts d’un équipage : les passagers, massés sur le pont, regardaient et in petto admiraient. Enfin, le brave capitaine Brown de Colstown eut l’ingénieuse idée de faire jouer les pompes : l’évadé fut littéralement noyé, assommé, submergé de paquets liquides. La lutte contre l’intangible et inépuisable élément était impossible : avec un geste de résignation stoïque, le gendarme jeta son couteau à la mer. Aussitôt, quinze braves se précipitèrent sur cet homme désarmé et le réintégrèrent victorieusement dans son cabanon.

Notre traversée, moins longue de vingt-cinq jours que celle accomplie sur le Var, fut beaucoup plus pénible. Nous passâmes sans transition des régions tropicales dans les régions tempérées, longeant la Nouvelle-Zélande par l’est, à une grande distance des côtes, et obliquant de plus en plus vers le sud pour doubler le cap Horn par soixante degrés de latitude. Cela nous changeait des chaleurs néo-calédoniennes et, sans les vareuses et chaussettes de laine, achetées grâce aux souscriptions pour les amnistiés, nous eussions fait triste mine.

Trois de nos compagnons, épuisés des souffrances de l’exil, ne purent supporter celles du voyage : ils moururent l’un après l’autre. Le premier, un vieillard, expira